Mc 15,33-39 LA MORT DE JÉSUS SUR LA CROIX
Mc 15,33-39 LA MORT DE JÉSUS
( voir aussi Matthieu 27,45-54 ; Lc 23,44-48 ; Jn 19,28-30 )
C’est la fin… et tout commence ! C’est la fin de Jésus mis à mort comme un criminel, exprimant à la fois son isolement, son épuisement, mais aussi son « oui » à la volonté du Père et à son projet de salut pour tous les hommes. Il a vécu ce qu’il avait annoncé (Mc 8,31 ; 10,45 ; 12,7-11). Le fait que lui, l’un d’entre nous, soit entré dans le monde nouveau de la Résurrection, auprès du Père, « comme le premier-né d’une multitude de frères » (1 Co 15,20 ; Ph 3,20-21), pour nous ouvrir la voie, l’avons-nous bien accueilli dans notre foi, dans nos convictions ? Le plaçons-nous au cœur de nos réactions devant la mort ? C’est autre chose que les discours sur la réincarnation. C’est Dieu qui a témoigné par son Fils dans l’histoire.
v. 33 : « Quand arriva l’heure de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusque vers trois heures. »
À midi (la 6e heure), les ténèbres plongent “toute la terre” dans l’obscurité : Jésus était La Lumière du monde ! (Jn 9,5). Il y a déjà trois heures que Jésus est cloué en Croix ; il va encore y rester trois heures.
Les “ténèbres” rappellent la prophétie d’Amos 8,9-10, sur le “deuil d’un fils unique” : « Il arrivera ce jour-là, où je ferai se coucher le soleil en plein midi et enténébrerai la terre en plein jour… ».
v. 34 : « Et à trois heures, Jésus cria d’une voix forte : « Éloï, Éloï, lama sabactani ? », ce qui veut dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
C’est la neuvième heure.
Jésus ne parle pas à son Père, autrement il dirait : « Abba ! » ; il reprend les mots du Psaume 22(21),1 qui est la prophétie de sa crucifixion ; il en prononce les premiers mots pour que ce Psaume, connu par cœur par tous les Juifs, défile dans leur mémoire et en découvre sous leurs yeux la réalisation. C’est à aucun moment un cri de détresse ou de désespoir !
Ce Psaume est la prière du juste persécuté qui met sa confiance en son Dieu : sûrement, lui dit sa foi, Dieu le sauvera.
Il faut relire le Psaume 22(21) en entier pour connaître les vrais sentiments de Jésus en croix. Contrairement à ce que pourraient laisser entendre ces premiers mots, que Marc cite ici, c’est une confiance invincible en Dieu qu’exprime l’ensemble du Psaume : le juste souffrant s’appuie sur l’histoire, où Dieu a montré sa fidélité (Ps 22,5-6) et pour proclamer qu’il est déjà exaucé : « Tu m’as répondu !... Il n’a pas rejeté ni réprouvé un malheureux dans la misère… » (vv.22c-27). Enfin, le juste entrevoit, dans un regard prophétique, que « toutes les familles des nations se prosterneront devant la face (du Seigneur) » (vv.28-32 ; cf. Mc11,17).
v. 35 : « Quelques-uns de ceux qui étaient là disaient en l’entendant : “Voilà qu’il appelle le prophète Élie” ».
L’allusion moqueuse à Élie rappelle les paroles de Jésus qui avait dit qu’« Élie est déjà venu, et ils l’ont traité à leur guise, comme il est écrit de lui » (9,13). Pour ce Fils de l’homme, il n’y a plus d’Élie médiateur (cf. Si 48,11).
Dans le subconscient Juif, Élie devait revenir (Malachie 3,1.23 ; Mc 9,11) consoler le juste souffrant (Si 48,1-11).
v. 36 : « L’un d’eux courut tremper une éponge dans une boisson vinaigrée, il la mit au bout d’un roseau et il lui donnait à boire, en disant : “Attendez ! Nous verrons bien si Élie vient le descendre de là ! ».
La boisson vinaigrée présentée par un soldat à Jésus, n’est pas du vinaigre pur, mais une boisson acidulée dont usaient les soldats romains, appelée « posca » dont parle Plaute (Miles gloriosus, 836). Jésus accepte cette boisson acidulée (Jn 19,30) offerte par le soldat romain.
Il ne faut pas la confondre avec la boisson présentée au condamné avant de le mettre en croix dont nous avons parlé en commentant le verset 23 ; cette boisson-là, un stupéfiant, Jésus l’avait refusée.
v. 37 : « Mais Jésus poussant un grand cri, expira ».
Jésus meurt seul. Sa dernière parole, en saint Marc, est un grand cri.
v. 38 : « Le rideau du Temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas ».
C’est la fin du Temple. Le voile qui séparait la partie la plus sacrée, le saint des saints se déchire du haut en bas. C’est la fin d’une certaine manière de se représenter Dieu, sa façon de vivre et d’agir avec les hommes. Tous les hommes ont désormais accès à la présence de Dieu, grâce à la mort de Jésus.
Il n’est pas dit que le voile « s’ouvrit », comme si on pouvait par la suite le refermer, mais qu’il « se déchira » irrémédiablement « en deux », et « de haut en bas », tel un jugement divin, rappelant l’irruption du Père au baptême de Jésus (cf. Mc 1,10-11). D’après Marc, la mise à mort de Jésus, le Saint de Dieu, est un acte que le Père n’a pas pu laisser impuni.
Et pourtant, ce n’est pas l’échec. Au contraire, ici et maintenant, « tout commence » ! Comme le montre la suite…
v. 39 : « Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s’écria : “Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! ».
Un païen, l’officier romain qui était là au pied de la Croix, reconnaît publiquement et à voix haute, qui est vraiment Jésus : le Fils de Dieu ! Pour la première fois, dans l’Évangile, un homme confesse sa filiation divine. Son acte de foi, c’est déjà le début d’un nouveau peuple qui va se rassembler et qui ne sera plus lié à une race, à un pays, mais ouvert à tous les hommes.
Pour Marc, qui écrit probablement à Rome, il n’est pas indifférent que ce cri de la foi chrétienne « cet homme était vraiment le Fils de Dieu ! » soit sur les lèvres de l’officier romain, tout comme le titre de Christ avait été sur les lèvres de Pierre (8,29). Ainsi, les lecteurs sont parvenus à la connaissance de la véritable identité de Jésus, qui ne se révèle sans équivoque et dans tout son mystère, que sur la Croix et dans sa mort.
Voilà une nouvelle image du Dieu « tout-puissant » : le Messie, le Fils de Dieu, c’est ce crucifié ! Il n’y a pas d’autre puissance que celle de l’amour qui va jusqu’au bout. Cet amour-là est impuissant à s’imposer, et ne peut que se proposer à la liberté des hommes.
Dieu n’a rien à voir avec un magicien qui, d’un coup de baguette magique, ferait disparaître toutes les difficultés, avec un Dieu tel que se le représentaient les adversaires de Jésus : « Sauve-toi toi-même en descendant de la Croix ! » : fais une action d’éclat, alors nous croirons !
La foi n’enlève rien à la dureté de la vie ou de l’action ; elle ne supprime pas le scandale de la souffrance et de la mort. Et pourtant, avec le centurion au pied de la Croix, à la suite de ces premiers témoins, nous sommes appelés à découvrir que la mort elle-même n’est pas sans signification, sans efficacité.